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Quoi de neuf ?

"Une autorité pervertie"

Plus de 40 ans après, le cheminement personnel de P. l'amène à connecter une colère bien enfouie. Derrière la colère, elle retrouve son cœur d'enfant : le même qui battait si fort au moment de s’engager dans l’ « Aventure ».

Dé-tricoter les fils d’une autorité perverse. Laisser sortir ma colère pour mieux retrouver mon cœur d’enfant, même si je ne suis plus jeune …

Tout d’abord, il y a eu en moi un puissant combat intérieur avant mon entrée en CCF, jusqu’à ce qu’un prêtre me dise : « c’est parce que tu en as besoin que tu recules des 4 fers ». Là, j’ai lâché, j’ai reconnu que c’était vrai, et suis donc entrée en CCF tellement j’avais soif, tellement « l’ Aventure » -son nom de l’époque- me parlait et m’attirait.

Tout se passait bien en apparence : je donnais réellement 14 % de mon petit salaire, mon appartement est devenu un lieu communautaire, et même un lieu d’hébergement pour certains. Puis j’ai vécu pendant un an en maisonnée résidentielle avec trois autres personnes, mais j’ai été la seule à ne pas devenir permanente.

Pour discerner si la permanence était pour moi, je suis allée vivre à Biot une session spécifique : « Etre en Alliance » (je ne suis pas certaine du nom, mais c’était quelque chose d’approchant). Pendant la session, il y a eu le baptême d’un petit enfant, c’était un évènement communautaire. Là j’ai été plus que stupéfaite des relations inégalitaires entre les uns et les autres. Comme si certains, faisant partie de « l’élite », étaient invités à cet évènement joyeux, et d’autres, les « petites mains » de la communauté, n’étaient pas invités. Cet évènement m’a marquée, et par la suite m’a permis d’ouvrir les yeux : si c’est ça les relations dans la Communauté de Biot - qui faisait figure de référence, d’idéal à imiter-, alors je n’en veux pas ! Et c’est en partie pour cela que je ne me suis pas engagée dans la permanence.

C’est aussi à cette occasion que j’ai rencontré le fondateur : c’est lui qui animait la session. Avec la relecture aujourd’hui, je prends conscience que cette rencontre m’a jetée dans un trouble profond. A un moment où j’étais seule avec lui, il a commencé à me déshabiller en défaisant les boutons de mon chandail. Mais mon attitude l’a arrêté net : il a compris qu’il ne pouvait pas aller plus loin. Mon enfance m’avait appris la résistance ! Mon trouble était fait de « pensez donc un fondateur s’intéresse à moi », je pouvais vivre enfin mon besoin de reconnaissance… Mais ma conscience profonde me disait : « c’est quoi cette histoire ? Qu’est-ce qu’il veut ? Que cherche-t-il ? » Et par ailleurs je me disais : « Bon … c’est pas si grave … pas de quoi en faire un fromage ! »

Récemment la réflexion d’une femme que je n’avais pas revue depuis ces années m’a ouvert les yeux : « s’il avait pu aller plus loin, il l’aurait fait ! »

J’étais tenaillée entre attirance et répulsion. De temps à autre, je me sentais comme attirée dans ses griffes : piégée par son intelligence, j’entendais la subtilité et la cohérence de sa parole ; je voyais son regard s’intéresser à moi ; et je pressentais le danger de devenir « sa chose ».

Aujourd’hui je pose des mots sur cette colère : suscité, mon désir de vivre de tout cœur, en me donnant à fond et le plus pleinement possible, s’est retrouvé utilisé, et trahi.

Il régnait en CCF un idéal démesuré, une forme de pression qui rendait difficile de discerner. J’étais divisée, et j’en garde des traces plus ou moins douloureuses : j’étais séduite par ses propos, que je trouvais très intelligents, pertinents et cohérents, même si aujourd’hui je vois bien qu’ils étaient décollés de la réalité, et d’un orgueil démesuré.

Il se vantait : « Nous sommes sur tous les continents ». Or aujourd’hui, et à l’époque déjà, même si ce n’était pas encore tout à fait clair dans mon esprit, ce qui fait à mes yeux la puissance de transformation d’une communauté, ce n’est pas le nombre de ses membres : c’est ce qui s’y vit d’authentiquement fraternel. Et avec le recul, je vois bien que les relations étaient finalement assez superficielles -même si chacun partageait son vécu en profondeur-, et que la dimension solidaire de la fraternité était peu cultivée en vérité …

Pendant quelques temps, j’ai hébergé deux hommes dans mon appartement, devenu lieu communautaire. En plein milieu d’une nuit, l’un d’eux me téléphone pour me faire part de ses fantasmes sexuels à mon sujet. N’étant pas capable de faire face à des propos aussi délirants, j’ai dû aller réveiller l’autre homme pour qu’il le raisonne et raccroche. J’en ai évidemment parlé au pasteur de la Communauté qui ne m’a pas réellement écoutée, et a banalisé l’affaire : « tu exagères, ce n’est pas si grave … » Ai-je été crue ? En tout cas, je ne me suis sentie ni prise au sérieux, ni entendue dans le choc que ça avait été pour moi. Là encore j’ai ressenti une autorité pas ajustée, sans solidité, une certaine toute-puissance qui saurait mieux que moi ce que je ressens et ce qui est important ou pas. Une écoute ni respectueuse, ni aidante pour saisir ce qui s’était passé pour moi.

Je me suis sentie flouée : de quelle formation parlait-on ? Je ne recevais rien de concret, ni rien de cohérent. Voire même utilisée : j’avais lâché mon travail à temps plein pour un mi-temps, afin de m’engager dans la CCF pour me former !

Aujourd’hui, je fais partie d’un groupe de partage : ça répond à mon besoin de vie fraternelle et spirituelle, et « c’est mieux que rien ». Mais j’ai encore en moi une fine colère d’avoir été trahie, pas respectée, voire utilisée : tout cet argent donné, sans compter la mise à disponibilité de mon appartement.

Cette autorité désajustée de jadis brouille encore ma vue sur l’autorité reçue aujourd’hui. Elle m’a minée toutes ces années, je n’en suis pas guérie. Parmi ceux et celles qui m’ont accompagnée à Fondacio depuis que j’y suis revenue en 2015, aucun n’a été capable de percevoir la colère qui continue de sourdre en moi.

Je trouve encore aujourd’hui dans l’exercice de la responsabilité au sein de Fondacio la trace très subtile et délétère d’une autorité pas toujours ajustée, d’une puissance qui ne se remet pas en cause. La trace d’une autorité dominatrice, face à laquelle il faudrait se justifier de ne pas accepter la domination.

Alors je dis STOP à cette autorité qui n’accepte pas la remise en cause.

Et ne masquons pas la colère ! Acceptons-la et déchiffrons-la pour faire le clair et vivre en paix !

P.D.





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